Un chemin de la Retirada

Cinéma espagnol et mémoire

En 1955 lors des Rencontres de Salamanque, Juan Antonio Bardem disait du cinéma espagnol qu'il était "politiquement inefficace, socialement faux, intellectuellement infime, esthétiquement nul, et industriellement rachitique". En son temps, cette opinion était partagée par un grand nombre de personnes en et hors l'industrie du film.

En est-on encore là aujourd'hui ? Bien sûr que non !

Comme la situation sociale, économique et politique du pays, le cinéma espagnol a évolué lui-aussi, notamment depuis 1975 et la fin de la dictature franquiste, et nous disposons aujourd'hui d'un important corpus de films, courts et longs métrages, films de fiction et documentaires de et sur la guerre civile, l'exil, la dictature, la transition... 

Mais toute cette production nous dit quoi de l'Espagne et de ses fêlures ? Elle nous raconte quoi au juste ? Tantôt complice tantôt critique, entre propagande et censure, dictature et démocratie, quel regard le cinéma espagnol porte-t'il sur l'Histoire récente de l'Espagne ? 

Cinematheque

1896 - 1930 : Naissance et âge d'or du cinéma muet espagnol

Le cinématographe des Frères Lumière arrive à Madrid en 1896, quelques semaines seulement après sa présentation publique triomphale à Paris. Le succès est immédiat tant l'invention étonne et fascine. La même année est tourné le tout premier film espagnol, Salida de las alumnas de San Luis de los Franceses, rapidement suivi d'autres très courts-métrages documentaires. Aussitôt, le cinéma fait naître des vocations. 

Dès 1897, Fructuoso Gelabert réalise la première fiction espagnole, Riña en un café, où il est question de deux hommes amoureux de la même femme. Ces deux-là s'empoignent violemment, mais sont finalement séparés par quelques bons citoyens. 

Dans la foulée, les truquages font leur apparition. Tandis qu'en France le "magicien" Georges Méliès invente le cinéma de science-fiction, Gelabert mais surtout Segundo de Chomón imaginent et utilisent en Espagne des maquettes et des décors miniatures qu'ils animent pour créer des effets visuels étonnants. Le résultat est si convainquant que Atracción de circo de Chomón est censuré ! La mesure d'interdiction ne sera levée que lorsque Chomón aura fait la démonstration à la Société de Protection des Animaux que le tournage n'a blessé aucun animal !

Et voilà, tout y est déjà ! Réalité et fiction. Violence et morale. Trucages et censure. Vérité et mensonges. Il ne le sait pas encore mais le cinématographe est prêt à passer l'Histoire et la mémoire historique à sa moulinette !

Pour l'heure, le cinéma est juste un divertissement. Alors quand les films sonores et parlants font leur apparition aux États-Unis à la fin des années 20, cela sonne le glas du muet. Le cinéma muet espagnol n'échappe pas au déclin annoncé, non sans laisser à la postérité quelques pépites qui ont marqué leur temps comme le surréaliste Un perro andaluz de Luis Buñuel et Salvador Dalí.

La fin des années 20 correspond également à la naissance d'un sous-genre du cinéma espagnol qui va connaitre un succès retentissant, l'españolada. Cette dénomination regroupe les films de comédie musicale folklorique. Ces films tendent à créer une représentation particulièrement stéréotypée de l'Espagne où le gitan occupe une place symbolique, souvent centrale. Ce genre va fortement se developper après la Guerre civile, pendant la dictature de Franco.

1931 - 1936 : IIème République et débuts du cinéma parlant

Les premiers films sonores en espagnol sont réalisés hors d'Espagne, à Hollywood et à Joinville où se trouvent les studios de la Paramount, ou encore à Londres. En réaction, le "Primer Congreso Hispanoamericano de Cinematografía" se tient à Madrid du 2 au 12 octobre 1931. Au terme de ces journées, des recommandations sont formulées à l'adresse des gouvernements des pays de langue espagnole et portugaise afin de promouvoir leur industrie cinématographique et protéger leurs productions audiovisuelles nationales.

L'année suivante, le premier film parlant réalisé dans la péninsule ibérique est projeté dans la capitale. Il s'intitule ironiquement Yo quiero que me lleven à Hollywood (=je veux qu'on m'emmène à Hollywood). Le cinéma divertit toujours, mais il apprend à être porteur de messages de protestation !

En 1933, Buñuel présente Las Hurdes (que l'on trouve aujourd'hui sous le titre Tierra sin pan) dont il assure lui-même la sonorisation en commentant depuis une cabine, les images projetées à l'écran. Il s'agit d'un documentaire de 27 minutes sur la vie misérable des habitants de la région des Hurdes, en Estremadure. Avec le recul, on comprends, après l'avoir visionné, que d'aucuns aient pu dire que ce film explique et annonce la guerre civile au cours de laquelle les phalangistes vont abattre l'ami du réalisateur, Federico Garcia Lorca.

En 1933, 1934, 1935 et 1936, on sonorise quelques classiques du muet qui viennent s'ajouter aux nouvelles productions. Les succès commerciaux se succèdent jusqu'à ce qu'éclate la guerre civile.

1936 - 1939 : Pendant la guerre civile, un cinéma au service de la cause

On ne peut étudier la production cinématographique de ces années, une production forcément partisane, sans distinguer ce qui relève d'un camp ou de l'autre. Ainsi :

  • Dans les territoires restés sous l'autorité du Gouvernement républicain

C'est en Castille et en Catalogne que sont réalisés les films de cette période. A noter : le Sindicato Único de Espectáculos Públicos de la C.N.T. produira 2 films en 1937 : Castilla libertaria à Madrid et Aurora de Esperanza, un drame social, à Barcelone.

  • Dans les territoires contrôlés par les armées de Franco

Seulement 3 films sont tournés en Espagne : la gran victoria de Teruel, Frente de Aragón, et Santander para España. Cette situation s'explique par le fait que, pendant une bonne partie de la guerre civile, la majeure part de l'industrie cinématographique se trouve en territoire républicain. Pour pallier le problème, des ressources sont recherchées hors d'Espagne, à Lisbonne, Berlin et Rome. C'est dans ce contexte que Joaquín Reig est envoyé en Allemagne comme Chef de la propagande. Il y réalise notamment España heroica (1938), un documentaire de 80 minutes (le pendant nationaliste du España républicana de 1936). Au final, l'essentiel de la production cinématographique nationaliste est réalisée à Berlin sous la direction de Florian Rey et Benito Perojo au sein du "Centro de producción española".

Bon là, dans un camp comme dans l'autre, on est clairement dans le film de propagande.

1939 - 1975 : Dictature et censure

Le Larousse définit ainsi la censure : Examen effectué par un gouvernement, une autorité, sur la presse, les spectacles etc... destinés au public, qui permet de décider des autorisations et des interdictions. Action d'interdire tout ou partie d'une information.

Dans l'Espagne de Franco, le cinéma ne peut pas être seulement un spectacle divertissant. A l'instar de tous les autres outils du régime, il concourt à la stabilité du pouvoir. Vecteur efficace de propagande des doctrines politiques, il éduque les masses selon une orientation conforme à l'idéologie franquiste.  

Si jusqu'au milieu des années 70, la production cinématographique espagnole continue d'être un cinéma d'après-guerre (c'est-à-dire marqué par le trauma de la guerre civile), on peut tout de même distinguer 3 grandes périodes :

-> la 1ère qui correspond au temps de l'exaltation patriotique : de 1939 à 1950,

-> la 2ème où on assiste à un rapprochement progressif à la réalité : de 1951 à 1964,

-> et une 3ème et dernière période qui voit naître le nouveau cinéma espagnol : à partir de 1965.

de 1939 à 1950, l'exaltation patriotique

Dès la fin de la guerre, le camp nationaliste célèbre la victoire avec une ferveur ardente et la figure du Caudillo est glorifiée. Dans cette atmosphère exaltée apparait un cinéma de propagande qui porte haut les valeurs du régime : force, discipline, honneur, courage, virilité, militarisme et nationalisme. Quant à la femme, passive, pieuse, pure, soumise, elle est la gardienne de la moralité nationale et sa réalisation passe nécessairement par son abnégation.

Le meilleur exemple en est le film Raza de José Luis Saénz de Heredia (1942), dont Francisco Franco signe lui-même le scénario sous le pseudonyme de Jaime de Andrade. Mais on peut aussi citer les films de Juan de Orduña comme A mí la Legión (1942), Locura de amor (1948) ou encore Agustina de Aragón (1950). 

Bien sûr, l'industrie cinématographique espagnole ne se borne pas à cette production partisane. Adaptations, cinéma religieux et surtout "western-spaguetti" se partagent le marché national. L'españolada n'est pas en reste avec 45 comédies musicales réalisées sur la période. Quelque soit leur genre, tous doivent être approuvés par la censure avant de pouvoir être projetés au public espagnol. En plus de distraire du quotidien, ces productions doivent aller dans le sens des valeurs du national-catholicisme et ne surtout pas pervertir les esprits des Espagnols. 

Mais cela ne suffit pas. En décembre 1942, le régime franquiste crée le NO-DO, acronyme de NOticiarios y DOcumentales cinematográficos. Selon le Bulletin officiel du 22 décembre 1942, ce documentaire, le seul autorisé, a pour objectif la diffusion d'une information nationale respectant strictement "l'orientation appropriée". En clair, il s'agit d'un petit court-métrage qui présente l'actualité en respectant la ligne éditoriale dictée par le régime. Avant toute projection de film, sa diffusion est obligatoire (elle ne deviendra facultative qu'après la mort de Franco).

Le 1er NO-Do est diffusé en janvier 1943.

de 1951 à 1964, le rapprochement progressif à la réalité

Si, au début des années 50, le cinéma espagnol continue de se faire l'étendard des valeurs du régime et de son Caudillo (Alba de América de Juan de Orduña en 1951 mais surtout le Franco, ese hombre de Saénz de Heredia, en 1964), il entame néanmoins une petite révolution avec l'arrivée d'une nouvelle génération de réalisateurs dont l'enfance a été marquée par la guerre civile : Bardem, Berlanga, Ferreri, Saura et bien d'autres... 

Ces jeunes réalisateurs veulent montrer, révéler, dénoncer... mais comment décrire la société espagnole, porter ses maux à l'écran, tout en passant la censure ? Chacun va devoir déployer des trésors d'ingéniosité et de subtilité. Ce sont Juan Antonio Bardem et Luis García Berlanga qui ouvrent la voie dès 1951 en tournant Esa pareja feliz, une comédie douce-amère qui porte un regard critique sur la société de consommation naissante.

Au cours des années qui suivent sont tournés les films que l'on nomme aujourd'hui "les grands classiques" du cinéma espagnol, parmi lesquels : Bienvenido Mr. Marshall (Berlanga, 1953), Muerte de un ciclista (Bardem, 1955), Calabuch (Berlanga, 1956), Los jueves, milagro (Berlanga, 1957), El pisito (Ferreri, 1958), Sonatas (Bardem, 1959), El Cochecito (Ferreri, 1960), Los golfos (Saura, 1960), Plácido (Berlanga, 1961), Viridiana (Buñuel, 1961), Los que no fuimos a la guerra (Diamante, 1962), Los inocentes (Bardem, 1962), Noche de verano (Grau, 1962), Del rosa...al amarillo (Summers, 1963), El buen amor (Regueiro, 1963), El próximo otoño (Eceiza, 1963), El verdugo (Berlanga, 1963), Nunca pasa nada (Bardem, 1963), Brillante porvenir (Guber , 1964), El espontáneo (Grau, 1964), La niña de luto (Summers, 1964), La tía Tula (Picazo, 1964), Los felices "60" (Camino, 1964), Llanto por un bandido (Saura, 1964), Muere una mujer (Camús, 1964), Tiempo de amor (Diamante, 1964), España insólita (Aguirre, 1964).

C'est difficile à croire mais en 1960, il y a davantage de salles de cinéma en Espagne qu'en France !

de 1965 à 1975, la naissance du nouveau cinéma espagnol

1965 marque l'apparition du mouvement qu'on appellera le "nouveau cinéma espagnol" qui, suivant la ligne initiée par Bardem et Berlanga, recherche une analyse toujours plus précise de la réalité espagnole, une réalité contradictoire où cohabitent de manière un peu tendue, conservatisme et modernité.

A cet égard, La Caza de Carlos Saura (1965) est un film exemplaire. On y trouve une structure en 2 plans thématiques : un premier, évident et concret dans un réalisme féroce (la partie de chasse), et un second, à peine perceptible, suggéré par petites touches (l'échec des vainqueurs).  

De cette période, je retiens :

- Días de viejo color (Pedro Olea, 1967), un film qui, malgré les freins imposés par la censure, constitue un remarquable document sur l'Espagne en mutation de la fin des années 60, 

- et 3 films où le trauma de la guerre civile est particulièrement présent :  Después del diluvio de Jacinto Esteva (1968), El espíritu de la colmena (Víctor Erice, 1973) et El jardín de las delicias de Carlos Saura (1975).

1975 - 2000 : une mémoire soumise à l'impératif de réconciliation

Le franquisme reposant sur le national-catholicisme avait imposé un retour aux valeurs traditionnelles. Il avait condamné au silence toutes les voix dissonantes. Son carcan avait empêché que les mouvements d'émancipation qui s'étaient propagés au cours des années 60 dans les sociétés occidentales, ne gagnent l'Espagne. Alors, évidemment, lorsqu'à la mort du dictateur, la chape de plomb qui recouvrait toute la société espagnole (industrie cinématographique comprise) se fissure, un vent nouveau souffle sur tout le pays.

Pour rendre à César ce qui lui appartient, il semble que ce soit en Catalogne qu'est né le mouvement de récupération de l'Histoire passée sous silence pendant le franquisme. Ça démarre en 1975 (et donc avant la suppression de la censure, en 1977) avec La Ciutat cremada, un film d'Antoni Ribas où le réalisateur tente un parallèle entre les crises politiques passées et la période de la transition démocratique. Puis, c'est au tour de Companys, procès a Catalunya (1979) de Josep Maria Forn, de revenir sur le procès et l'exécution du Président de la Generalitat livré en 1940 au régime franquiste par le Gouvernement de Vichy. Enfin, en 1981, Francesc Bertriu fait dans La plaça del Diamant le portrait d'une femme pendant les années de la République, la guerre civile et la dictature franquiste. 

Naturellement, ce mouvement ne se limite pas à la Catalogne. Rapidement, le film documentaire s'impose comme un des vecteurs essentiels de la récupération de la mémoire perdue, à l'instar de La vieja memoria (1977) dans lequel Jaime Camino interviewe les survivants de la guerre civile ou Caudillo de Basilio Martin Patino (1977) qui vise à déconstruire les mythes autour de la figure de Francisco Franco.

Mais, en ces années de grands changements, l'équilibre de la société espagnole est fragile et c'est sans doute le film Informe General (1977) de Pere Portabella qui illustre le mieux ce qui se joue au cours de la transition : on peut évoquer le passé mais il sera nécessairement sacrifié sur l'autel de la réconciliation. 

A cet égard, la tentative du coup d'Etat du 23 février 1981 agit comme un coup de semonce. Tout un chacun a perçu l'avertissement et compris ce qu'il en coûterait de rouvrir les plaies du passé. A partir de là, la mémoire des républicains se fait toute petite, cantonnée aux universités et cercles d'historiens, ou reléguée à l'intimité familliale.

Malgré tout, en marge du mouvement culturel de la Movida, la guerre civile et l'après-guerre vont parvenir à se faire une place sur les écrans au travers d'une filmographie qui, sans aborder les sujets qui fâchent dans leur globalité, s'attarde sur des évènements secondaires, voire des non-évènements (la vie à l'arrière, la souffrance des non-combattants, l'isolement, la peur, ...), s'attache à reconstituer la vie quotidienne de personnages sujets passifs de l'Histoire. 

De cette filmographie qui s'étend sur plus de 20 ans, je retiens principalement Cría cuervos (Carlos Saura, 1976), Las largas vacaciones del 36 (J. Camino, 1976), Las bicicletas son para el verano (J. Chavarri, 1984), ¡ Ay Carmela ! (Carlos Saura, 1990), El largo invierno (J. Camino, 1991), Tu nombre envenera mis sueños (P. Miró, 1996), La hora de los valientes (A. Mercero, 1998), La niña de tus ojos (Fernando Trueba, 1998), La lengua de las mariposas (J.L. Cuerda, 1999) et El portero (Gonzalo Suárez, 2000).

Depuis 2000 : le réveil des mémoires

Au début des années 2000, une poignée de descendants de victimes du franquisme investissement leur histoire familiale, revendiquent l'ouverture des fosses communes, fondent l'Asociación para la Recuperación de la Memoria Histórica et... réveillent les consciences. La génération des Nietos, petits-enfants des vaincus, remet en cause ce qu'ils appelent le "pacte du silence", la Loi d'amnistie (1977), élément clé de la transition qui, interdisant que les auteurs des crimes commis pendant la guerre civile et la dictature franquiste soient poursuivis, a permis un passage non-violent de la dictature à la démocratie.

En peu de temps, cette initiative se convertit en un mouvement civil et politique d'une très, très grande ampleur. La mémoire historique s'invite dans l'espace public. C'est cette médiatisation des questions mémorielles qui aboutira en 2007 à la Loi de la Mémoire historique.

De fait, le cinéma et les télévisions publiques et régionales (notamment TV3, en Catalogne) se sont trouvés être les instruments efficaces de cette médiatisation.

Ainsi, en 2001, la série télévisée Cuéntame cómo pasó, qui a pour objet le franquiste tardif et la pré-transition, commence à être diffusée. Elle rencontre un succès énorme. 

De nombreux films documentaires sont produits dont le sujet est la fois la guerre et la dictature franquiste, parmi lesquels on peut citer le Noticias de una guerra d'Eterio Ortega, projeté en avant-première en novembre 2006 lors d'un colloque international sur la guerre civile qui se tint à Madrid, ou le primé Las fosas del silencio (2003) de Montse Armengou et Ricard Belis sur les fosses communes.

Dans le film de fiction, le déferlement de mémoire trouve à s'exprimer dans tous les registres 

depuis le film fantastique : El laberinto del fauno (Guillermo del Toro, 2006)
- à la comédie déjantée : Balada triste de trompeta (Álex de la Iglesia, 2010)
- en passant, c'est inévitable, par le drame : Las 13 rosas (Emilio Martínez-Lázaro, 2007), La voz dormida (Benito Zambrano, 2011), La Llum d'Elna (Sílvia Quer, 2016), Hoy no se fía, mañana sí (Francisco Avizanda, 2008), Madres paralelas (Pedro Almodóvar, 2021)
- le huis clos :
 La trinchera infinita (Aitor Arregi, Jon Garaño et Jose Mari Goenaga, 2019)
- la romanceGernika (Koldo Serra, 2016)
- le western : Intemperie (Benito Zembrano, 2019)
- ou encore la grande fresque historique : Mientras dura la guerra (Alejandro Amenábar, 2019)
- et même l'horreur : El espinazo del diablo (Guillermo del Toro, 2001).

Et c'est pas fini... Il est évident, à l'heure où j'écris ces lignes, que le cinéma espagnol n'a pas terminé d'explorer les mémoires blessées !

Le cinéma espagnol de et sur la guerre civile, un cinéma de la vérité et du mensonge

On concluera sur le fait que l'Histoire récente de l'Espagne porte en elle des problématiques qui n'ont fait, ni ne font consensus et que ces contradictions se retrouvent dans le cinéma espagnol de et sur la guerre civile, l'exil, la dictature, la transition... un cinéma de la vérité et du mensonge.

Si pendant la guerre civile, tous les points de vue ont pu s'exprimer dans des œuvres  partisanes, à partir de 1939 le discours officiel structuré autour du concept vainqueurs/vaincus, s'est imposé à l'industrie cinématographique espagnole, les vaincus étant contraints au silence et à l'oubli sans la plus petite place dans l'Histoire officielle. Il a fallu attendre une nouvelle génération de réalisateurs pour que leurs voix soient à nouveau perceptibles, et encore, à peine, par bribes ayant échappé à la censure.

A la mort du dictateur, les conditions politiques propres à la transition espagnole ont ouvert un espace dans lequel les vaincus, survivants ou descendants, ont commencé à se souvenir, partager, transmettre, commémorer. Mais à peine réveillée, la mémoire s'est figée, la tentative de coup d'État du colonel Tejero, le 23 février 1981, ayant rappelé à tous ce qu'il leur en coûterait de rouvrir les plaies du passé. A partir de là, la mémoire des républicains s'est faite toute petite, cherchant à se faire la plus discrète possible tout en existant un peu quand même dans les universités, les laboratoires de recherches des historiens et dans l'intimité familiale.

Au début des années 2000, avec la génération des Nietos, l'Espagne est entrée dans un processus de remémoration perçu comme une nécessité, un passage obligé pour que le pays puisse enfin faire mémoire de ce qui fut nié.

Le corpus de films de fiction et documentaires dont nous disposons aujourd'hui sur les évènements qui secouèrent douloureusement la société espagnole entre 1931 et les années 80 doit être regardé à la lumière de ce long et difficile processus de réappropriation de la mémoire. Cela implique que, pour être comprise, chaque œuvre doive être replacée dans une double temporalité : le temps du récit (le moment où se déroule l'histoire) mais aussi le temps de la narration (le moment où l'on raconte cette histoire), ce second temps étant au moins aussi important que le premier.

Maintenant que vous savez tout ça, je vous invite à vous promener dans notre sélection de films de fiction et documentaires à voir ou à revoir 

ou à consulter une autre fiche thématique : index de la rubrique "à la loupe"

Pour aller plus loin...

C'est peu dire que la rédaction de cette fiche thématique m'a donné du mal. Bien sûr, j'ai au préalable visionné des kilomètres de pellicule mais ce bagage n'aurait pas été suffisant. Je me suis donc appuyée sur quelques ouvrages de référence. Je les recommande à ceux qui souhaitent creuser le sujet :

Historia del Cine español de Fernando Méndez-Leite, Rialp Ediciones, 1965

El Cine español de Emmanuel Larraz, Masson et Cie, 1973

Le cinéma espagnol, de Pietsie Feenstra et Vicente Sànchez-Biosco, Armand Colin, 2014

Je tiens également à remercier ici l'Institut Jean Vigo de Perpignan qui m'a très gentiment et très chaleureusement reçue et renseignée. 

 

 

 

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