Un chemin de la Retirada

Collecter les souvenirs

Vous pouvez dire à vos enfants : "on a des origines espagnoles, tu savais ? C'est pour ça que ta mère aime la paella." Point.

Mais on peut faire mieux, non ?

Alors essayons avec : "Tes arrière-grands-parents étaient espagnols, tu savais ? Ils ont franchi les Pyrénées en 39 pour se réfugier en France. Parce qu'il y avait la guerre en Espagne. C'était très dur. Après, ils sont restés en France. " Point.

Mouais. Je crois qu'on peut faire encore mieux...

Vous pouvez raconter à vos enfants l'histoire de leur famille ou du moins les bribes de cette histoire.

Voyons comment vous pouvez faire en sorte d'en savoir davantage...

Conseil n°1 : Prenez des notes

On se dit toujours qu'on va s'en rappeler. Ce n'est pas vrai !

Quelque soit l'intensité de l'émotion que vous avez ressentie lorsque votre papa chéri ou le grand-oncle que vous adorez, vous a confié cette anecdote qui vous a bouleversé ou fait rire aux larmes, vous allez finir par l'oublier. C'est inévitable.

Même si vous vous êtes montré extrêmement attentif, même si vous avez mis tout votre coeur à tendre l'oreille à votre gentille grand-mère, je vous assure que vous allez finir par oublier tout ce qu'elle vous a raconté ou, et je me demande ce qui est le pire, vous allez tout déformer.

Bon, d'accord. Admettons que la nature vous ait doté d'une mémoire extraordinaire et que vous parveniez à retenir, disons, l'essentiel. Il va quand même arriver un moment où l'anecdote va commencer à se faner, à perdre les couleurs et le parfum qui ont fait naître votre émotion quand votre parent vous l'a confiée. Et, à partir de là, elle ne sera plus tout à fait la même. Vous ne serez plus en capacité de transmettre ce que vous avez reçu.

C'est pour cela qu'il est PRIMORDIAL de tout noter.

C'est pour cela que j'en ai fait mon conseil n°1.

Et quand je dis tout, c'est tout ! Ce que l'on vous raconte bien sûr, dans les moindres détails, mais aussi comment on vous le raconte. Vous devrez relever les mots, les expressions utilisées, surtout si ces mots ou expressions ont un sens particulier pour votre parent. Notez également la date de l'entretien et le nom de votre interlocuteur.

Bref, je crois que vous avez saisi l'idée : il va falloir ne pas vous faire confiance et tout mettre par écrit.

Et si vous passez pour un dingue à sortir un calepin de votre poche à chaque réunion de famille, dites-vous que ce n'est pas bien grave, que cela en vaut la peine et qu'un jour, vous serez récompensé de votre peine.

 

 Lorsque vous rencontrez vos proches,

munissez-vous d'un carnet,

toujours le même,

dans lequel vous allez pouvoir prendre des notes,

en vous attachant à bien relever tous les détails,

même ceux qui vous paraissent, sur le moment, insignifiants.

 

Conseil n°2 : Ecoutez sans juger

 

 Ecouter avec attention,

bienveillance et empathie,

c'est s'oublier soi-même

pour se mettre au service de l'autre

et de son histoire.

 

A une époque où chacun peut y aller de son petit commentaire sur le vif, où chacun note, évalue, donne son avis et distribue des étoiles...ou pas, c'est difficile de ne pas se laisser aller à suivre le mouvement.

Et, pourtant, c'est exactement ce qu'il faut arriver à faire : mettre son esprit critique en veilleuse (vous en aurez besoin mais plus tard) et simplement écouter.

Enfin, quand je dis "simplement", ça ne l'est pas tant que ça. Il suffit pour s'en convaincre d'observer pendant quelques minutes les gens qui nous entourent, quand la conversation prend un tour un petit peu personnel : s'écoutent-ils les uns les autres ? Vraiment ? Ne sont-ils pas, tandis qu'on leur parle et qu'ils se taisent, en train de réfléchir à ce qu'ils auraient fait eux-mêmes en pareilles circonstances ? Ou bien ne recherchent-ils pas dans leur mémoire quelque anecdote qui pourrait s'apparenter à celle qui leur est contée mais en mieux, avec un petit quelque chose supplémentaire ? Et, lorsqu'ils l'ont trouvée ne prennent-ils pas la parole dans l'instant, au besoin en coupant celle de leur interlocuteur, pour se raconter ?

Non, non. Moi, je vous parle de s'oublier un instant pour écouter l'autre avec attention, bienveillance et empathie.

Cela demande un peu d'entrainement ? Oui, sans doute. Mais, pas d'inquiétude, ça finit par venir !

Conseil n°3 : Respectez les silences

Lorsque l'on recueille les confidences de quelqu'un, il faut s'attendre à ce que la conversation s'interrompe parfois et que, par moment, s'installent quelques silences. C'est tout à fait normal.

C'est dans le silence que se réalise l'introspection, que la mémoire se livre et que peuvent alors en émerger les souvenirs qui se trouvaient relégués depuis tant d'années dans ses insondables profondeurs.

Enfin, quoi ? Vous demandez à Pépé de vous dire ce qu'il faisait à Grenade à l'automne 1936 et vous vous attendez à ce qu'il vous réponde du tac-au-tac ! Pépé qui ne se rappelle même pas de ce qu'il a mangé hier soir ! Soyons un peu sérieux.

Pépé a besoin d'un peu de temps pour fouiller dans ses souvenirs. C'est naturel. Cela peut durer longtemps avant qu'il ne se rappelle de quelque chose. Et cela peut même ne jamais arriver...  Donc, pas la peine de brusquer Pépé !

Et puis, gardez aussi à l'esprit que si l'histoire que l'on vous raconte est celle de votre famille et donc un peu la vôtre, elle est avant tout celle de la personne qui vous la raconte. C'est son histoire, l'histoire de sa vie. Il est donc légitime que cette personne puisse décider de ce qu'elle ne vous dit pas.

Dans ses silences, c'est son jardin qu'elle cultive. Et ça, faut respecter !

 

Dans ses silences

se trouve le jardin secret

de votre interlocuteur,

son domaine réservé.

Il y garde précieusement

tout ce qu'il ne dira jamais à personne,

pas même à vous.

 

Conseil n°4 : Affichez vos intentions

 

Prenez quelques minutes

pour réfléchir à vos intentions

et à la façon dont vous allez en parler

à votre entourage.

 

Un peu plus et, sur ma lancée, j'oubliais de parler des intentions. Or, elles sont essentielles : plus claires seront vos intentions, plus grandes seront vos chances de parvenir à votre but. Car on gagne toujours à être honnête, que ce soit avec les autres ou avec soi-même.

Personnellement, je suis convaincue que si ma grand-mère a accepté de se remémorer la faim, la peur, les bombardements et les cris, c'est bien parce qu'elle avait compris et fait siennes mes intentions.

Dès le départ, Mémé a su pour quoi et pour qui je prenais toutes ces notes.

Mon projet était double. Il consistait, pour moi, à récupérer la nationalité espagnole et, pour mes enfants, à retrouver la mémoire des Gandarillas ; cette branche de la famille dont les racines se trouvent en Pays basque espagnol. Mémé a compris tout de suite que sans elle, je n'accèderai ni à l'un ni à l'autre. Mon projet est devenu le nôtre.

Vos motivations doivent être claires, bien posées. Cela vous mettra dans de bonnes dispositions pour progresser plus vite et plus sûrement. Également, si elles sont claires pour vous, elles le seront aussi pour les autres car, vous serez en mesure de les expliquer à vos interlocuteurs et d'emporter leur adhésion ce qui, aussi, vous fera progresser plus vite et plus sûrement.

Conseil n°5 : Mettez vos notes au propre

Si vous appliquez scrupuleusement le conseil n° 1, vous allez rapidement noircir les premières pages de votre carnet. Vous avez peut-être même déjà commencé !

Dans de rares occasions, votre interlocuteur vous a laissé le temps d'écrire une phrase. Mais la plupart du temps, non. Tout s'est passé très vite. Vous ne vouliez pas l'interrompre, vous ne vouliez pas qu'il perde le fil alors, vous avez simplement relevé une date, un lieu, un nom, ... le plus vite possible. Des mots juxtaposés. Des données brutes. Griffonnées.

Si vous ne reprenez pas rapidement vos notes, celles-ci deviendront bientôt indéchiffrables.

C'est pour cela que, dès que possible, et dans l'idéal sitôt rentré à la maison, vous devez vous mettre à l'ordinateur, ouvrir un document texte et taper vos notes. Attention, pas n'importe comment : en faisant des phrases.

Sitôt rentré ? Oui, c'est important car c'est là que vous avez encore en tête tout ce que vous avez entendu. Aidez-vous du carnet pour vous rappeler les phrases et les mots exacts de votre interlocuteur et reportez-les aussi fidèlement que possible dans votre document-texte. Ecrivez clairement, dans le détail.

 

Dans la version "au propre",

faites l'effort de rédiger des phrases,

celles de votre interlocuteur.

Cela vous évitera de déformer ses propos

et votre récit lui restera fidèle.

 

Conseil n°6 : Réveillez votre esprit critique

 

"Hâtez-vous lentement, et, sans perdre courage,

vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage :

Polissez-le sans cesse et le repolissez,

Ajoutez quelquefois, et souvent effacez".

Nicolas BOILEAU               

 

Après avoir réglé toutes les questions de forme et mis au propre toutes vos notes, sans plus de ratures ni de fautes, voici venu le moment de réveiller votre esprit critique -vous savez, celui que vous aviez mis en veilleuse pendant vos entretiens (voir conseil n°2 : écoutez sans juger)- car il faut maintenant vous attaquer au fond.

Reprenez votre document-texte à tête reposée et décortiquez, analysez votre récit en prenant le temps de réfléchir. Surlignez les mots ou expressions qui posent question. Ajoutez, dans une autre couleur ou dans la marge, vos réflexions personnelles, vos interrogations, vos observations... tout ce que vous inspire le parcours de votre famille.

Ce seront là autant de pistes à suivre, autant de questions à vous poser, autant de fils à dénouer pour achever de reconstituer l'histoire de votre famille.

Conseil n°7 : Tirez sur les fils

Vous connaissez l'expression "le fil de l'histoire", elle signifie simplement son déroulement.

Sans doute connaissez-vous également les expressions "le fil de ses pensées", le "fil d'une conversation", ou encore "le fil d'un discours". Toutes évoquent un enchainement d'idées selon un ordre plus ou moins évident, que ce dernier soit chronologique ou thématique. Et, précisément, lorsque cet enchainement se produit dans le désordre, sans logique apparente, lorsque qu'on ne sait plus ni comment ni pourquoi on en est arrivé à l'idée finale, à tel point qu'on ne se souvient plus ni de l'idée de départ, ni où on voulait en venir, nous avons l'habitude de dire qu'on a "perdu le fil". L'expression existe aussi en espagnol : "perder el hilo".

Dans le processus qui nous occupe, à savoir celui de collecter les souvenirs, ces fils sont très importants.

Car, c'est en suivant chacun d'eux que vous pourrez aller plus loin, plonger au plus profond dans les mémoires, remonter au plus loin dans le temps, pousser au plus avant vos questionnements, et -ce faisant- tendre vers le but que vous vous êtes fixé.

 

Posez des questions,

posez-vous des questions,

et de réponse en réponse,

une question en entrainant une autre,

tirez les fils de la mémoire familiale.

 

Conseil n°8 : Retournez les photos

 

N'oubliez pas de feuilleter

les vieux albums de famille

car les photos ont beaucoup à raconter !

 

Aujourd'hui que nous stockons des photos par centaines dans les galeries de nos téléphones, nous avons oublié ce petit geste. Qui s'en rappelle ? mais nos anciens écrivaient au dos des photographies.

Instants volés ou solennels, photos de noces ou de baptême, de classe ou de carnaval, les photographies immortalisaient les tranches de vie, comme elles le font aujourd'hui. Mais dans le temps, il y en avait très peu et elles se transmettaient de génération en génération. Si on voulait que les jeunes sachent que le vieux monsieur en costume du dimanche, qui pose devant le portail, le menton fier et la main posée sur le guidon de la bicyclette, est le grand oncle Eugène, il y avait intérêt à l'avoir noté quelque part ! Et quoi de plus pratique que de l'écrire au dos du portrait.

Ainsi, au dos des clichés, on traçait à l'encre ce que l'on voulait ne jamais oublier : ici "sept 39, chez Jeannot", là "Paul et Marie à Saint-Nazaire", ou encore derrière celle-là "Souvenir de 1ère communion".

Bref, tout ça pour dire qu'il ne faut pas passer à côté des albums de famille. Allez-y, feuilletez et retournez.

Et, sait-on jamais, vous n'êtes pas à l'abri d'une surprise. On pourrait avoir glissé entre les pages de l'album-photo, quelques feuillets d'un vieux courrier. Ça n'arrive pas qu'aux autres !

 

On passe à la suite ?

Vous êtes arrivé au bout de votre enquête et avez collecté et rassemblé les souvenirs de tous ceux qui, parmi votre entourage, se rappellent de la guerre et du parcours d'exil de votre famille.

Il est donc temps de passer à l'étape suivante :

Reconstituer la chronologie                  Combler les zones d'ombre                 Replacer dans le contexte

ou bien, si vous êtes arrivé au terme de vos travaux, d'aborder la phase finale : Mettre en forme et transmettre

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